Les émotions, disiez-vous ?

Le dernier article proposait une redéfinition des signes de l’image-mouvement tels que Gilles Deleuze les avait déduits à partir de l’analyse du schème sensorimoteur. En d’autres termes, c’était une tentative de redéfinir les termes fondamentaux qui avaient permis au philosophe de proposer une classification des signes de l’image cinématographique et, si cette tentative avait une chance d’être pertinente, elle se devait de reformuler également les signes de l’image-temps dans la continuité de l’analyse précédente. En quoi consistait notre analyse ? Lire la suite

Les émotions, disait-il…

Le cinéma tel qu’il est analysé par Gilles Deleuze dans les deux livres qu’il lui consacre se décrypte à partir du rôle central donné au schème sensorimoteur. Pour mémoire, on appelle schème sensorimoteur le schéma comportemental perception-action. Le mot schème s’emploie pour signifier qu’il ne s’agit pas d’appliquer un schéma formel à la réalité mais partir des régularités qu’on observe dans celle-ci pour faire émerger un motif opératoire parmi la diversité des situations. Autrement dit, c’est un peu précieux mais on dira schéma pour parler d’une forme a priori et schème pour une forme a posteriori. Bref, en introduisant l’affection entre la perception et l’action, c’est bien à partir de là que Deleuze nous propose une lecture de l’image cinématographique. L’image classique, c’est-à-dire l’image-mouvement, explorera le schème sensorimoteur pour autant qu’il est réalisé, sinon par les personnages, du moins par le film en tant que totalité ouverte par la durée. L’image moderne, c’est-à-dire l’image-temps, explorera la rupture du lien sensorimoteur, traversera la disparition du personnage à la recherche d’une matrice esthétique capable de redonner ou d’inventer un corps et un cerveau à l’humanité. Mais pour installer le schème sensorimoteur dans le cinéma, il fallait d’abord l’installer dans la pensée et ensuite convoquer le cinéma ; il fallait trouver le plan d’immanence proprement cinématographique où cinéma et pensée deviennent assez indiscernables pour nouer leurs étranges alliances. Ce plan d’immanence, Deleuze le trouvait chez Bergson et ce dernier le formulait non pour le cinéma mais comme une réponse à la nouvelle physique einsteinienne. Lire la suite

Note de lecture : l’image-temps II

Quand Gilles Deleuze élabore sa classification des signes de l’image cinématographique, il procède méthodiquement. Et quelle est-elle, cette méthode ? C’est celle de la déduction génétique. C’est-à-dire que les signes cinématographiques seront déduits à partir d’une analyse de plus en plus fine et diversifiée d’un seul concept : l’image-mouvement produit ses signes comme l’œuf produit le poussin, grâce à un développement qui produit la variété et la qualité distinctive des signes par un processus de différenciation interne. Il faut souligner l’importance de cette méthode parce qu’elle recouvre un enjeu de pensée qui va bien au-delà d’un simple choix méthodologique. Disons tout de suite (on aura l’occasion d’y revenir en maintes occasions) que la déduction génétique est à la pensée ce que la morphogénèse est la biologie ; c’est-à-dire l’explication d’une chose à travers sa production.

Formation de cristaux de vanilline,
métaphore de la déduction génétique.

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Note de lecture : l’image-temps I

On s’était posé au départ une question bizarre : que serait une pensée multimédia ? Il s’agissait de se demander ce que serait une pensée qui reçoit ses principales déterminations à partir non plus d’une expression fondamentalement linguistique mais d’une composition de signes visuels, sonores, tactiles… C’est pour cela que je m’étais intéressé au cinéma en tant qu’expression multimédia, plus particulièrement au cinéma vu par Deleuze en tant que la question de la pensée y était directement posée et cela par un auteur qui a toujours dénoncé l’impérialisme du langage sur les formes de pensée. Quitte à être redondant, je veux préciser à nouveau les enjeux d’une telle question. Il y en a trois au moins en relation les uns aux autres. Un premier concernant la pensée et la philosophie, un second concernant la pensée à l’ère « technologique », un troisième concernant la pensée, la culture et les générations.

 

Conférence de Deleuze à la Femis le 15 mai 1987
Qu’est-ce que l’acte de création ?

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Les deux transversales

Et un seul point m’est plus violent oubli
Que vingt-cinq siècles à l’entreprise qui fit
s’émerveiller Neptune en voyant passer l’ombre d’Argo
Dante, Le Paradis

Quand il s’agit de monter un projet, le dossier doit pouvoir nommer les actions que l’on espère réaliser dans des termes partagés par tous les partenaires. Ainsi, dans le document Pistes pour un projet, nous nous emparons des termes de l’UNESCO pour décliner un projet en trois volets : culturel, éducatif, social. Ces trois volets fournissent chacun un cadre à l’intérieur duquel nous nous présentons et dans lequel nous sommes autorisés à suivre des circuits articulant institutions, financement, programmes politiques. Tout cela est très bien mais laisse dans l’ombre le problème si métaphysique de l’unité dans la diversité. Autrement dit, comment faire pour ne pas s’éparpiller ? Comment faire pour impliquer un groupe de personnes chacun selon leur diversité, lui donner les moyens de former un collectif uni ? Bien avant que d’en venir à l’inévitable attention portée aux relations entre les caractères, et surtout bien avant que de s’enfermer dans les cadres institutionnels, il est nécessaire de définir une ou plusieurs idées qui soient transversales à tout le projet et qui puissent jouer le rôle que jouaient les constellations pour la navigation hauturière. En ce qui nous concerne, il y en aurait deux. Lire la suite

Des mots ou des signes ?

Charles Sanders Peirce

Il y a peu de temps, j’ai découvert la sémiotique piercienne. Encore un terme barbare pour dire qu’un philosophe américain du nom de Charles Sanders Peirce a élaboré au début du 20ème siècle une théorie des signes tout à fait originale et que si un oiseau comme votre serviteur la découvre au début du 21ème, c’est que soit je retarde soit Monsieur Peirce était très en avance. Il faut dire que dans sa spécialité, C. S. Peirce fut le contemporain de Ferdinand de Saussure et ce dernier lui a, théoriquement parlant, fermé les portes du continent Européen.

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