Note de lecture : l’image-temps II

Quand Gilles Deleuze élabore sa classification des signes de l’image cinématographique, il procède méthodiquement. Et quelle est-elle, cette méthode ? C’est celle de la déduction génétique. C’est-à-dire que les signes cinématographiques seront déduits à partir d’une analyse de plus en plus fine et diversifiée d’un seul concept : l’image-mouvement produit ses signes comme l’œuf produit le poussin, grâce à un développement qui produit la variété et la qualité distinctive des signes par un processus de différenciation interne. Il faut souligner l’importance de cette méthode parce qu’elle recouvre un enjeu de pensée qui va bien au-delà d’un simple choix méthodologique. Disons tout de suite (on aura l’occasion d’y revenir en maintes occasions) que la déduction génétique est à la pensée ce que la morphogénèse est la biologie ; c’est-à-dire l’explication d’une chose à travers sa production.

Formation de cristaux de vanilline,
métaphore de la déduction génétique.

Soit l’exemple de l’œuf à nouveau. Voilà un organisme qui ne demande que de la chaleur, une membrane isolante, de l’albumine et les éléments contenus dans le jaune pour produire, à partir d’une « pâte unique », tantôt un bec, tantôt des ailes, tantôt des organes, bref une forme vivante, caquetante, complexe. Dans l’ordre de la pensée, il s’agit de partir d’une idée et d’en développer les caractéristiques internes par l’enchaînement qui les lie les unes aux autres dans le concept qui les comprend toutes. Soit l’exemple de la classification des éléments de Mendeleïev en chimie. On part d’une conception de l’atome dans laquelle la structure électronique est disposée en couches successives, de la plus proche du noyau à la plus éloignée. Pour toutes les couches, le nombre maximal d’électrons qu’elle peut contenir est égal à 2n2 (où n est le nombre quantique de la couche, son positionnement en partant du noyau). On compte alors un par un les électrons disposés sur les couches et on en déduit les éléments en tenant compte de l’augmentation corrélative du nombres de protons et de neutrons à l’intérieur du noyau.

A partir de Z=Z+1, A = environ Zx2 et M = environ A, on déduit X.

Il est à noter que la méthode génétique se poursuit au-delà du simple établissement de la liste des éléments parce qu’il suffit d’observer le comportement des électrons selon le nombre qu’ils sont sur n’importe quelle couche pour en déduire de nouvelles propriétés, en particulier leur capacité à former des ions positifs ou négatifs, à entrer dans des compositions chimiques déductibles à partir de là, à entrer dans des familles d’éléments partageant certaines caractéristiques, etc…

C’est donc ainsi que Deleuze procède pour sa classification des signes à ceci près que le concept n’est plus scientifique mais philosophique et la méthode génétique n’y est plus descriptive mais explicative. Il y a au moins deux raisons qui expliquent ce choix : l’une, extrinsèque, implique le rapport entre philosophie et cinéma ; l’autre, intrinsèque, concerne le rapport entre la pensée et la vie.

Dans le premier cas, il s’agit de répondre à l’avance à l’objection concernant une éventuelle tentative impérialiste de la philosophie sur le cinéma. Comme si le cinéma avait besoin de la philosophie pour penser, comme si c’était le rôle de la philosophie d’insuffler ce « supplément d’âme » à un art si fondamentalement industriel et populaire. De ce point de vue, la méthode génétique désamorce l’objection parce qu’en fait on n’a jamais quitté le domaine de la philosophie, on n’a jamais rien rajouté au cinéma, on s’est contenté de traduire en termes philosophiques ce qui s’expérimente déjà et intégralement dans le cinéma. Et comment fait-on ? C’est que depuis le début on n’a jamais rien fait que d’analyser le mouvement ; on ne cesse de reconstruire sur le plan conceptuel ce que le cinéma donne à voir dès lors qu’on lui applique les analyses bergsoniennes du mouvement. Et l’enjeu d’un tel geste n’a bien sûr rien à voir avec une quelconque politesse frileuse mais bien plutôt tout à voir avec la possibilité même d’une d’une pensée multimédia. C’est là la seconde raison du choix concernant cette fois le rapport de la pensée avec la vie. Car, en effet, comment supposer une « pensée visuelle », autonome par rapport à l’expression linguistique si le discours philosophique en contient la raison. Non, il faut que celui-ci reproduise pour lui-même et avec ses moyens l’expérience de pensée telle qu’elle existe dans le cinéma. Alors, et seulement à partir de là, il aura rendu justice à l’hypothèse de départ comme il aura donner par ailleurs à la philosophie le moyen de penser non pas autre chose mais autrement.

Que la honte m’étreigne et que le désespoir m’accable ! Je vais essayer de restituer en quelques paragraphes la production génétique des signes cinématographiques telle que Deleuze la développe dans l’Image-Mouvement et telle qu’il la récapitule lui-même dans le chapitre 2 de l’Image-Temps. Je vais même commencer par récapituler la récapitulation parce qu’elle permet de saisir dans un premier survol le mouvement dynamique propre à la méthode génétique :

  • Premier moment : la réalité est cinéma en soi, pure lumière-mouvement se propageant dans toutes les directions sans aucune caméra, sans aucun spectateur pour l’enregistrer.
  • Deuxième moment : la réalité devient cinéma pour soi pour le cas précis des organismes vivants, écrans noirs projetant la lumière vers une réalité qui les intéresse.
  • Troisième moment : le lien sensori-moteur (perception/affection/action) est déductible de la réalité grâce à la complexité croissante des organismes vivants et justifie le modèle narratif dans la réalité.
  • Quatrième moment : le lien sensori-moteur s’exprime de diverses manières en fonction de son rapport variable à l’espace et des dynamiques qui le traverse.
  • Cinquième moment : le temps est déduit indirectement des différentes manières de mesurer les différentes expressions du lien sensori-moteur.
  • Sixième moment : le temps est déduit directement à partir d’une rupture du lien sensori-moteur comme ce qui continue de se mouvoir lorsque l’organisme vivant est paralysé.
  • Il y aura des septième et des huitième moments mais plus tard.

On définit donc au début un pur plan d’immanence à partir de la réalité des choses. Qu’est-ce qu’un plan d’immanence ? C’est un plan idéel, un objet spécifique de la pensée spéculative, qui permet à celle-ci de déduire tout ce qui y tombe comme étant contenu dans ce plan. Au plus le plan est pur, au plus une infinité de choses peut en être déduite. Autrement dit, la méthode génétique présuppose toujours un plan d’immanence (car comment pourrait-on produire quelque chose à partir d’une autre en fonction d’une loi de développement interne si cette loi ne témoignait d’un plan commun qui les contient toutes deux ?) mais tout le problème devient de savoir à quelle réalité fait-on référence à travers ce plan ? Deleuze emprunte à Bergson le plan d’immanence décrit dans le premier chapitre de Matière et Mémoire : c’est un pur plan de lumière pour lequel on peut écrire IMAGE = MOUVEMENT. On prête à la lumière qui se propage, à la matière qui s’écoule, à l’image qui se meut une identité absolue. « C’est un monde d’universelle variation, universelle ondulation, universel clapotement : il n’y a ni axes, ni centres, ni droite ni gauche, ni haut ni bas. » En quoi ce plan exprimerait-il une quelconque réalité ? On a en mémoire le verset « Et la lumière fût ! » mais il faut avouer que cette compréhension de la réalité est quelque peu datée et ne nous satisfait pas vraiment. En fait, il faut se rappeler la méthode bergsonienne de l’intuition et considérer que ce plan est une tendance prélevée sur la réalité et porter par l’intuition à son extrémité, « au delà du tournant de l’expérience ». Quelle est cette réalité ? C’est la réalité physique de la lumière telle que la théorie de la relativité einsteinienne va la formuler. Dans l’univers tel qu’Einstein, contemporain de Bergson, le redessine, tous les corps sont en mouvement relatif les uns vis-à-vis des autres sauf la lumière qui est mouvement absolu en raison de la limite physique que constitue sa vitesse et qui pour cette raison « saisit » absolument tous les mouvements de l’univers. Quand Bergson dessine son plan d’immanence, c’est donc bien de la réalité objective du monde dont il s’inspire et que, grâce à l’intuition, il transforme en objet de pensée. C’est une réalité où la lumière n’est plus l’attribut de Dieu ou de l’esprit mais est le terme ultime de la matière. On a donc bien un pur plan d’immanence à même d’exprimer la réalité des choses, or il se trouve que ce plan figure « un univers comme cinéma en soi, un métacinéma, et qui implique sur le cinéma lui-même une toute autre vue que celle que Bergson proposait dans sa critique explicite ». Voilà la pour le premier moment.


Quelques simulations de la théorie de la rélativité

En effet, à ce niveau, on a un « cinéma en soi », c’est-à-dire que la lumière qui se propage ne rencontre aucun obstacle, aucun corps qui ne l’absorbe ou ne la réfléchisse par ailleurs, puisqu’il y a absolue identité entre lumière, matière et image. Dit autrement, on dirait que s’il devait y avoir une image, ce serait une image translucide puisque chaque grain de matière serait « exposé » jusqu’à son niveau quantique. Afin que la matière se forme et qu’un cinéma soit possible, il faudra une sorte d’écran noir qui permettrait à l’image de se révéler et c’est là notre second moment. Il va falloir que sur ce plan quelquechose se produise qui puisse rendre compte d’une certaine opacité des images. Ce qui se produit, c’est la vie, c’est-à-dire des organismes qui ne se contentent pas de se laisser porter par les mouvements qu’ils rencontrent mais qui sont créent un intervalle, une interruption entre le mouvement perçu (perception) et la réponse transmise (action), qui ne se laissent pas traverser par la lumière mais lui oppose un écran noir à même de réfléchir une image précise, découpée dans la réalité et que l’on nommera encore perception. On a donc dans ce second moment une situation dans laquelle chaque organisme vivant peut être assimilé à une caméra opérant d’une part un cadrage au niveau de la lumière devenue perception (impression lumineuse) mais doit être également envisagé comme montage du point de vue de l’organisme pour lequel l’impression reçue nécessitera une réponse adéquate.

Pour le troisième moment, il va falloir déduire le lien sensori-moteur à partir du plan d’immanence constitué en cinéma. Ce n’est pas très difficile parce qu’on a déjà identifié deux pôles de l’image-mouvement : un premier pôle purement matériel, ou objectif, où la lumière se propage sans obstacle, un second pôle, organique ou subjectif, où un mouvement est perçu sur une face et exécuté sur une autre face selon un intervalle. Acentrée dans le premier cas, centrée autour d’un organisme dans le second, la perception est le niveau zéro de l’image en ceci qu’elle conditionne toutes les autres variétés d’image. En effet, pas de lien sensori-moteur sans une perception même de l’action répondant à une première perception, cette perception de l’action assurant la continuité vers une perception de la nouvelle situation. Le lien sensori-moteur, c’est le lien entre stimuli et réponse, entre perception et action. Mais pour les organismes évolués en général, et l’être humain en particulier, il existe une phase intermédiaire en raison de la capacité à retenir une réponse le plus longtemps possible. Échappant au réflexe, entre la perception et l’action se glisse l’affection qui est autant une immobilisation de la perception qu’une anticipation de l’action. On distinguera donc trois premiers types d’images : image-perception, image-affection, et image-action, toutes les trois accomplissant le lien sensori-moteur et fondant ainsi la narration cinématographique à partir de la seule analyse du mouvement et sans référence à aucune déterminations langagières.

Au quatrième moment, on commence à développer la sémiotique adéquate à l’image-mouvement. C’est ici que Deleuze utilise les travaux de Peirce à qui il emprunte l’idée d’une structure triadique signe et celle de niveaux d’images, ceci pour les enrichir et même les dépasser. Je ne détaille pas ici ce que Deleuze emprunte ou corrige de Peirce mais on peut retenir quatre choses : 1) l’image-mouvement s’achève avec un quatrième type d’image, l’image-relation, qui se caractérise par un mouvement produit en fonction d’un cheminement mental ou intellectuel 2) on passe de l’image-affection à l’image-action, puis de l’image-action à l’image-relation par un type d’image intermédiaire à chaque fois, image-pulsion dans le premier cas, image-transformation dans le second 3) chaque type d’image se caractérise par un statut différent de l’espace et 4) chaque type d’image à au moins deux signes dont un exprime l’élément génétique que les autres exploitent diversement.

  1. L’image-relation : Hitchcock est le maître de cette image et certains exemples sont fameux. Ainsi la scène de l’avion dans la Mort aux Trousses où l’inquiétude naît de la vision, jugée anormale par le personnage et le spectateur, d’un avion à sulfater là où il n’y a pas de champ à sulfater. Ici, « non pas des perceptions, mais des interprétations qui renvoient à l’élément du sens ; non pas des affections, mais des sentiments intellectuels de relations… »
  2. On a vu que la perception passait à travers tous les types d’images car une affection n’est pas moins perçue qu’une action. Mais entre l’image-affection et l’image-action se glisse l’image-pulsion comme affection dégénérée et pulsion plutôt qu’action. Mais aussi entre l’image-action et l’image-relation, s’insère l’image-transformation qui commence à réfléchir les actions et les situations sans cependant encore dégager de relation.
  3. Dans l’image-perception, l’espace est objectif mais l’objet a lui-même plusieurs manières d’être dans l’espace : considéré comme figure ou volume, il appelle un espace géométrique tel qu’Antonioni l’explorera, considéré comme matériau ou présence, il appellera un espace physique redevable de forces (Murnau), enfin il peut très bien alterner ces deux aspects et passer d’un type d’espace à l’autre en fonction (Lang). À partir de l’image-affection, l’espace cesse d’être simplement objectif et devient vécu, il va se voir affecté d’une puissance qu’il recèle mais qui ne parvient pas à connecter les bouts d’espaces, c’est-à-dire à créer un milieu. C’est un espace quelconque, sourd d’une émotion qui ne s’actualise pas mais n’en reste pas moins rémanente. On passe ainsi d’espaces quelconques en espaces quelconques, jusqu’à parfois les vider complètement (Antonioni encore p. ex.). Dans l’image-pulsion, l’espace existe entre un milieu qui n’est là que pour être épuisé, vidé de toutes ses potentialités (cf les personnages de séducteurs chez Stroheim), et un monde originaire, d’autant plus puissant qu’aucun milieu ne l’intègre, chargé de toutes les intensités du désir et cependant destination de mort (la décharge de Los Olvidados de Buñuel). Dans l’image-action, l’espace est enfin connecté, il devient un milieu naturel ou humain. Le milieu naturel pourra devenir l’Englobant, celui qui règle les rapports entre les hommes et les situations, qui invite le héros à accepter le défi qu’il lui pose et qui accueille la nouvelle situation que le héros aura contribué à créer pour le bien de la communauté (le western fordien et le cinéma classique étasunien en général). Dans l’image-transformation, l’espace de l’image-action est en quelque sorte gagné par un processus d’infinitisation qui confine au sublime (cf. Ozu). Enfin, dans l’image-relation, l’espace est lui gagné par un processus d’abstraction et le modèle pour le cadrage devient celui de la tapisserie qui opère un isolement sélectif de l’espace (Hitchcock encore).
  4. Plutôt que de lister les signes, je me contenterais de noter les dynamiques dont ils témoignent à l’intérieur des types d’image. Ainsi, pour l’image-perception on va d’une perception forcément moléculaire, objective, acentrée, matérielle (Vertov) vers une perception où les pôles objectif/subjectif sont solidement marqués (chez Pasolini par exemple) en passant par un stade intermédiaire, plus liquide, où les pôles sont faiblement discernés (cf. Vigo).Dans l’image-affection, une pure puissance ou qualité pourra être saisi dans un morceau d’espace (Bresson) comme dans un visage (Dreyer). Dans l’image-pulsion, le monde originaire rôde autour du monde réel et la pulsion arrache à des morceaux de ce monde réel pour les restituer au monde premier. Dans l’image-action, il y a un début d’action, non plus une pulsion mais une impulsion qui pousse à l’action tantôt pour restituer une situation adéquate au milieu tantôt pour relancer une nouvelle action afin de poursuivre l’investigation du milieu (le genre policier par différence avec le western). Dans l’image-transformation, l’action et la situation rentrent dans des rapports indirects, transformant en figures une question qui ne cesse d’être reformulée. Enfin dans l’image-relation, l’image devient chargée de sens plurivoques et se posent alors la question de son insertion, ordinaire ou non, dans la trame de la réalité.

Après avoir épuisé la variété sémiotique de l’image-mouvement, on en revient à la question du tout de ces images, c’est-à-dire à la représentation du temps comme totalité telle que nous l’avons vu dans l’article consacré au montage. C’est le cinquième moment. Or, ce dont on se rend compte, c’est qu’on n’arrive pour l’image-mouvement qu’à une représentation indirecte du temps. Indirecte en ceci que le temps y est considérer comme le nombre du mouvement, comme si le temps n’existait que dans les montres ou les horloges. C’était la raison des différents types de montage (organique, dialectique, mécanique, intensif) en fonction de la mesure du temps (respectivement rythmique, harmonique, métrique, tonal).

Mais ne pourrait-on obtenir une représentation directe du temps ? C’est le sixième et dernier moment (pour cet article en tout cas). Que s’est-il passé ? Le lien sensori-moteur est brisé, il s’est brisé du dedans. Pourquoi cela ? Plusieurs facteurs ont joué. Si, après Deleuze, on repère l’apparition de cette rupture dans le néo-réalisme italien, on comprendra que la seconde guerre mondiale a joué un rôle clé (Allemagne année zéro, Rome ville ouverte, le Voleur de bicyclette). On retiendra pour l’instant cinq caractères de la nouvelle image : 1) une situation dispersive 2) des liaisons délibérément faibles 3) la forme de la bal(l)ade 4) la prise de conscience des clichés 5) la dénonciation du complot. Dans la nouvelle image, le personnage est confronté à une situation trop forte pour lui, paralysant l’action mais libérant une nouvelle faculté, une fonction de « voyance », le plaçant dans une « situation optique pure ». On finit bien par obtenir une représentation directe du temps parce que maintenant le mouvement ne mesure plus le temps mais  en devient la perspective. Le plan cesse d’être au présent pour ramasser en lui les forces du temps tandis que le montage en opère la combinaison ou l’agencement.

J’ai conscience de l’extrême aridité de cette série d’articles sur le cinéma. Je ne sais même pas si ces articles ont le moindre sens pour une personne qui n’aurait pas lu C1 et C2. Il ne s’agit en plus que d’une phase préalable consistant à bien refaire le chemin de pensée de Deleuze pour ensuite poursuivre l’élan au-delà du cinéma avec un minimum de chances d’y réussir. En effet, il ne s’agissait pas dans cet article de résumer l’Image-Mouvement, mais de mettre en évidence le procédé de la déduction génétique. Et pourquoi cela ? Il est trop tôt pour argumenter mais il me semble de plus en plus fondé de penser que la déduction génétique nous guidera bien au-delà des deux livres sur le cinéma dans le domaine de la « pensée visuelle » ou « pensée multimédia ».

7 réflexions sur “Note de lecture : l’image-temps II

  1. C’est vrai que là tu nous ménages pas !

    Souvent, au fil de tes textes, donc au fil de ta pensée et de ses digressions, il arrive que je me perde. Pour retomber sur mes pattes à la fin et comprendre, à ce moment-là, où tu voulais en venir et pourquoi tu y es venu (cette impression de s’y perdre n’étant pas forcément désagréable…).

    Peut-être que ce qui se passe sur un texte se passera là pour un ensemble ?

    Malgré « l’extrême aridité de cette série d’articles sur le cinéma », on sent intuitivement que tu tournes autour de quelque chose, qu’il y a un intérêt à tout ça. Qui se précisera sûrement au fur et à mesure de tes textes.

    Bien à toi,

    Cyril

    • Je me suis rappelé des vers de Shakespeare que j’avais lu dans Nietzsche. Je les paraphraserai volontiers :
      Mes pensées s’envolent
      Mes paroles restent ici bas
      Les pensées sans les paroles
      Ne montent jamais au ciel.

      Plus sérieusement, il y a a bien un fil, une pelote à dérouler. Ce qu’il y a d’avantageux avec la déduction génétique, c’est une manière d’expliciter ce mouvement conceptuel. Il en devient plus musical que verbal.

  2. Salut Max,

    Mes quelques lignes sont celles de quelqu’un qui n’a ni le temps ni les moyens intellectuels d’exprimer tout le bien qu’il pense de tes réflexions et de leur rédaction, et qui se limite donc à exprimer les questions dérangeantes que suscite la lecture qu’il en fait.
    Autrement dit, depuis le temps que te parcoure avec intérêt je te dois quelques retours.

    A te lire, j’ai l’impression que tu confonds moyen (écriture, lecture) utilisé par le média et média, que la pensée est pour toi indépendante de tout esprit de corps?

    La possibilité que nous avons de nous demander à quoi pourrait ressembler une pensée multimédia (une pensée n’a-t-elle jamais été autre que multimédia?) ne nous prive-t-elle pas par là même d’échapper au primat du langage?

    Une pensée, si poétique soit-elle, pourra-t-elle jamais échapper à la raison-déraison?
    La pensée poétique, pour ne pas dire post-raisonnante, que tu sembles prêter à Nietzsche, pourrait bien être une vue de l’esprit. Celle d’un sujet qui, a posteriori, fige Nietzsche -et par là même sa pensée- à un moment de son existence.

    S’il y a une continuité essentielle entre le multimédia et la technologie comment imaginer qu’il puisse en être autrement du média humain?
    Comme Nietzsche, les jeunes générations ne pensent pas de rien. Pourquoi cloisonner les générations et raisonner trop souvent à partir d‘oppositions auto créées?

    La pensée, selon les conséquences que tu veux en tirer, semble sujet voire indépendante de son média ou sujette à l’air du temps -poétique- que perçoit -quid de l’inconscient?- le média qui la pense.
    Si ces deux moments (sujet-sujette) existent bel et bien, je ne pense pas qu’ils soient exclusifs l’un de l’autre mais compris (si ce n’est entendus) dans un même temps pour ne pas dire dans un même être.

    Une pure lumière peut-elle être en mouvement, peut-elle se propager? Si oui, cela supposerait qu’elle soit limitée. Par qui? Par quoi?
    Une caméra -obscura?- ne projette pas mais encadre.

    Comment les six moments distincts -et donc leur succession- que tu décris logiquement dans ce présent article s’inscrivent-ils dans notre réalité? Contrairement au cinéma il n’y a pas d’écran entre l’hallucination et l’individu qui y est sujet.

    Tu me donnes souvent l’impression de parler d’un extérieur, d’un angle qui n’existe pas, de concéder (par exemple que tu t’exprimes par des mots) pour mieux ne pas en tenir compte.

    Pour finir, si la question de savoir si la pensée a un avenir dans les nouvelles conditions de la pensée est THE question; peux-tu y répondre en la déclinant à l’infini? Pourquoi t’em, nous embarrasser de métaphores cinématographiques?

    Philippe

    • Salut Philippe,
      cela me fait plaisir de te lire à nouveau et particulièrement ici.
      Tes questions dérangeantes ont de quoi l’être mais c’est parce qu’elle demandent des éclaircissements sur des zones d’ombres dont certaines s’éclaireront plus tard, au fur et à mesure de l’avancement de mes réflexions. Je te réponds sur celles que je peux éclairer maintenant et considères ton commentaire comme un encouragement à continuer.

      A te lire, j’ai l’impression que tu confonds moyen (écriture, lecture) utilisé par le média et média, que la pensée est pour toi indépendante de tout esprit de corps?

      Effectivement, je formule à dessein les choses de telle sorte qu’une distinction soit bien posée entre média(moyen au sens premier) et pensée. La distinction étant posée, il faudra la préciser et dire qu’il s’agit d’une distinction de nature (ou formelle, ou qualitative, ou réelle, tous ces termes étant ceux que l’histoire de la philosophie à utiliser pour caractériser ce genre de distinction) et non une distinction numérique (ou de degré, ou modale, etc…). Ces histoires de distinctions, il faut les voir comme des boites à outils philosophiques pour penser la réalité. La conséquence de cela, c’est que la pensée n’est jamais donnée en dehors d’un média qui l’exprime (pas de distinction numérique) mais elle est bien essentiellement différente du média par lequel elle s’exprime (distinction de nature). Je m’inscris dans un courant expressionniste pour lequel il faut distinguer 1- ce qui s’exprime, 2- l’expression, 3-l’exprimé tout en les considérant comme une unité. Le média est en 2, la pensée en 3.
      Il est vrai que je ne sais pas nommer ce qui s’exprime. Cela m’empêche d’avoir une conception unifiée du schéma expressif et doit avoir des conséquences sur ma formulation.
      Sur la distinction de nature, je te renvois à l ‘article sur l’intuition et à celui sur les strates.

      La possibilité que nous avons de nous demander à quoi pourrait ressembler une pensée multimédia (une pensée n’a-t-elle jamais été autre que multimédia?) ne nous prive-t-elle pas par là même d’échapper au primat du langage?

      C’est le piège et c’est la bataille. La pensée m’étant donnée (et là je parle de mon expérience) par la pratique de l’écrit, je pars de là. Mais la pensée étant goûtée par ailleurs (toujours déjà multimédia comme tu le dis), elle doit pouvoir être expérimentée comme telle dans ces autres médias (le comme telle restant à caractériser). La question ne porte pas sur le fait (y a-t-il ou non une pensée multimédia?), mais sur le droit ( peut-on appeler pensée, le cinéma, la poésie, les arts ou que sais-je encore?). Questionner le droit revient à questionner la prééminence culturelle (le préjugé) sur laquelle repose notre système éducatif par exemple accordé à l’écrit. Donc, derrière la question de droit, se cache la question du pouvoir et de là manière dont il est distribué, via des institutions, à l’ensemble de la société.

      Une pensée, si poétique soit-elle, pourra-t-elle jamais échapper à la raison-déraison?
      La pensée poétique, pour ne pas dire post-raisonnante, que tu sembles prêter à Nietzsche, pourrait bien être une vue de l’esprit. Celle d’un sujet qui, a posteriori, fige Nietzsche -et par là même sa pensée- à un moment de son existence.

      Là encore tu pointes à juste titre une insuffisance chez moi. Je prêtes effectivement à Nietzsche une pensée post-raisonnante sans pour autant la caractériser avec précision. C’est la voie vers laquelle je m’engage.
      Par contre, tu pourras relire le passage que Nietzsche lui-même consacre à son Zarathoustra dans Ecce homo et tu pourras lire ce qu’il plaçait comme enjeu dans ce livre unique à plus d’un titre.

      S’il y a une continuité essentielle entre le multimédia et la technologie comment imaginer qu’il puisse en être autrement du média humain?
      Comme Nietzsche, les jeunes générations ne pensent pas de rien. Pourquoi cloisonner les générations et raisonner trop souvent à partir d‘oppositions auto créées?

      Ici, tu reprends mes termes mais tu sembles n’avoir pas vu que je les empruntais sans les reprendre à mon compte. Il s’agit d’entrer dans un débat contemporain que je formule à grands traits, peut-être de manière trop généraliste mais je ne crois pas être tant à côté de la plaque.
      Le débat contemporain est caractérisé par des lieux communs, ces fameuses « oppositions auto-crées » : par exemple le multimédia commence avec les technologies, les jeunes pensent différemment voire pensent moins ou moins bien.
      Toute ma démarche consiste à dire : vous croyez que le multimedia commence avec les technologies mais le multimédia commence avec les signes, c’est-à-dire avec les sens et avec l’intelligence. Les technologies ne font qu’expliciter cette dimension « naturellement » multimédia de la pensée. Vous pensez que les jeunes générations pensent moins ou moins bien mais savez-vous lire leurs attitudes devant la pensée ? Et Bergson, ou Deleuze, mais aussi Leibniz (on le verra), ne nous aide-t-il pas à mieux dire comment pensent les jeunes générations en sorte que la coupure que vous mettez entre jeunes et anciennes générations vient du fait que vous ne cherchez pas à employer les œuvres du passé.

      La pensée, selon les conséquences que tu veux en tirer, semble sujet voire indépendante de son média ou sujette à l’air du temps -poétique- que perçoit -quid de l’inconscient?- le média qui la pense.
      Si ces deux moments (sujet-sujette) existent bel et bien, je ne pense pas qu’ils soient exclusifs l’un de l’autre mais compris (si ce n’est entendus) dans un même temps pour ne pas dire dans un même être.

      Je ne comprends pas bien ce que tu veux dire. Dans le premier paragraphe, il me semble que tu me renvoies à la question de qui s’exprime (1er élément de ma triade expressive) avec la limite que je reconnais avoir là-dessus.

      Une pure lumière peut-elle être en mouvement, peut-elle se propager? Si oui, cela supposerait qu’elle soit limitée. Par qui? Par quoi?
      Une caméra -obscura?- ne projette pas mais encadre.
      Comment les six moments distincts -et donc leur succession- que tu décris logiquement dans ce présent article s’inscrivent-ils dans notre réalité? Contrairement au cinéma il n’y a pas d’écran entre l’hallucination et l’individu qui y est sujet.

      Il est probable que résumer l’image-mouvement en quelques paragraphes relevait de l’impossible concernant ce point précis. En effet, les six moments sont censés décrire cette adéquation de l’image cinématographique à la réalité (les deux premiers moments sont cruciaux à cet égard). Mais il ne faut pas se tromper de point de vue. Le sujet, ce n’est pas celui qui projette sur un écran, c’est la caméra qui enregistre. L’image-cinématographique n’est celle qui est projetée mais celle qui est inscrite sur la pellicule. Bref, le point de vue est celui de la caméra pas celui du spectateur. Essaie de reprendre les six moments à partir de là.

      Tu me donnes souvent l’impression de parler d’un extérieur, d’un angle qui n’existe pas, de concéder (par exemple que tu t’exprimes par des mots) pour mieux ne pas en tenir compte.

      Effectivement, c’est lancinant. Qui ou quoi s’exprime ? (cf supra)

      Pour finir, si la question de savoir si la pensée a un avenir dans les nouvelles conditions de la pensée est THE question; peux-tu y répondre en la déclinant à l’infini? Pourquoi t’em, nous embarrasser de métaphores cinématographiques?

      Je ne m’embarrasses pas de métaphores cinématographiques mais je suis à la recherche d’outils conceptuels. Ils se trouvent que je les ai repérées dans l’image-mouvement et l’image-temps qui parlent du cinéma. Ils me faut ces outils si je veux aller plus loin. Comme toi, il me tarde de décliner cela à l’infini.
      J’en profite pour te renvoyer à l’article que j’avais déjà évoqué concernant la pensée visuelle. C’est l’autre tentative que j’ai trouvé et il me semble potentiellement féconde.

  3. Max,

    sans doute t’ai-je mal lu ou me suis-je mal exprimé, mais je pense utile de revenir sur certaines de mes questions et certains de tes éclaircissements.

    Je ne pense pas que la distinction entre média et pensée soit posée une bonne fois (comment pourrait-elle l’être?) dans tes articles. Pour le dire vite, c’est à mon sens en te confrontant à la penser, la penser sous cette forme, que tu exposeras enfin le thème essentiel de tes, de nos variations. Par sa nature, il se pourrait en effet que le sujet qui nous occupe te mène à exercer ce curieux renversement.

    Le passage (dans « c’est plus grave que l’on ne l’imaginait) qui va de « Quand je me suis intéressé au cinéma selon Deleuze…. » à « L’environnement est saturé de signes qui doivent être décodés. » est, me semble-t-il, significatif de tes limites, de nos limites que tu tends courageusement à dépasser. Encore faut-il ne pas omettre (et pour reprendre ta terminologie, je goûte par avance ta pensée énervée) que comme telles, elles sont indépassables et certainement incernables. J’ai le sentiment que tu n’en tiens pas toujours compte dans ta réflexion.

    Pour revenir à ce passage (sans revenir sur le primat du langage ni perdre de temps à m‘arrêter sur les signes d’impuissance de Finkielkraut et consorts), le « C’est » qui suit « …pour autant plus ensauvagée.» traduit la gêne que suscite encore trop souvent ta lecture. Si en l’occurrence « C’est » clair pour toi, « C’est » ne l’est pas pour moi et le lien qu‘il est censé établir avec la phrase qui le précède et les conséquences que tu en tires laisse pour le moins dubitatif.
    Si tu décides dans ce passage qu’il existe « une multiplicité de durées concrètes », est-ce que « le temps cesse d’être [aussi, en même temps, pour autant] un englobant »? Je ne discute pas là de savoir si oui ou non il existe « une multiplicité de durées concrètes », et partant si oui ou non « le temps cesse d’être un englobant », mais de ta façon de poser les choses. Ce « C’est » est d’autant plus dérangeant qu’il semble t’autoriser, chemin faisant, à destituer l’individu de la pensée (que la pensée puisse ou non être exclusivement Sa pensée, et que l’individu auquel tu sembles faire référence ici soit singulièrement pluriel sont un seul et même sujet sur lequel je ne doute pas que tu reviendras explicitement).

    Maintenant, et plus fondamentalement, le temps peut-il, si ce n’est s’arrêter, du moins cesser d’être [quoi que ce soit]? Note que je (omni absent dans tes articles comme sujet éminemment politique et comme tel éminemment et de toujours, si ce n’est à jamais, menacé par les temps qui courent) n’emploie pas quoi que ce fût car je est ENCORE bel et bien de la partie tant que le temps n‘a pas encore cessé POUR LUI (question de tempo et de cas pas que rhétoriques).
    Et que dire de « alors la pensée cesse d’être attribuée à un individu » si ce n’est que cette déduction constitue peut-être un non-sens, et certainement une impasse.

    Pourquoi un « trajet qui explore un parcours » -bravo Max, bel exemple de poésie concrète, en situation- ne pourrait pas dans le même temps être « un sujet qui fait la synthèse »?
    Comment peux-tu avancer que la lecture et l’écriture puisse être exclusivement linguistique? Et si la pensée multimédia est en devenir continu, peut-elle rompre de façon décisive et sans retour avec le moment où l’enfant paraît pour de fait éclairer sa vie durant la lumière -déjà là- dont tu nous parles par ailleurs? Pour le formuler autrement, la pensée multimédia peut-elle rompre avec le moment où les enfants paraissent sur ce fond médiatique tout en le précédant, en lui étant contemporains et en lui succédant pour le constituer et le reconstituer sans fin?
    A leur sujet, si ce n’est en termes d’âge, de temps de présence dans l‘existence, « les jeunes générations » que tu évoques dans « l’image-temps I » est une catégorie (non plus singulièrement plurielle mais englobante) qui n’existe pas. C’est d’autant plus troublant que tu en appelles à elle pour dénoncer le pouvoir et ses médias qui l’ont auto créée (si la question de droit et de nature se pose, c’est bien concernant notre incapacité d’inventer, d’être partie prenante face à l’avenir. Ce n’est certainement par défaut que le pouvoir -toujours- actuel fait montre d’incapacité).

    Le multimédia exclue-t-il l’isolement?

    Ce n’est peut-être pas tant les métaphores cinématographiques qui m’embarrassent dans ma lecture, que la formulation deleuzienne qui me semble parfois dicter voire réduire ta réflexion. C’est dommage, elle gagnerait à s’affranchir pour s’imposer.
    Je vais relire les séquences que tu m’indiques, te remercie des éclaircissements apportés et futurs et demeure confiant.

    A bientôt, Max.

    • Je ne pense pas que la distinction entre média et pensée soit posée une bonne fois (comment pourrait-elle l’être?) dans tes articles. Pour le dire vite, c’est à mon sens en te confrontant à la penser, la penser sous cette forme, que tu exposeras enfin le thème essentiel de tes, de nos variations. Par sa nature, il se pourrait en effet que le sujet qui nous occupe te mène à exercer ce curieux renversement.

      Je reconnais avoir écrit « Effectivement, je formule à dessein les choses de telle sorte qu’une distinction soit bien posée entre média(moyen au sens premier) et pensée. » alors qu’en fait elle n’est pas bien posée du tout d’un point de vue conceptuel. S’il fallait reformuler, ce serait plutôt «  de telle sorte qu’une distinction soit affichée hypothétiquement ». A charge pour moi, comme tu m’y invites, de la clarifier au fur et à mesure de ma progression. C’est le sens de mon expression au futur dans la phrase qui suit : « La distinction étant posée, il faudra la préciser »

      Le passage (dans « c’est plus grave que l’on ne l’imaginait) qui va de « Quand je me suis intéressé au cinéma selon Deleuze…. » à « L’environnement est saturé de signes qui doivent être décodés. » est, me semble-t-il, significatif de tes limites, de nos limites que tu tends courageusement à dépasser. Encore faut-il ne pas omettre (et pour reprendre ta terminologie, je goûte par avance ta pensée énervée) que comme  telles, elles sont indépassables et certainement incernables. J’ai le sentiment que tu n’en tiens pas toujours compte dans ta réflexion.
      Pour revenir à ce passage (sans revenir sur le primat du langage ni perdre de temps à m‘arrêter sur les signes d’impuissance de Finkielkraut et consorts), le « C’est » qui suit « …pour autant plus ensauvagée.» traduit la gêne que suscite encore trop souvent ta lecture. Si en l’occurrence « C’est » clair pour toi, « C’est » ne l’est pas pour moi et le lien qu‘il est censé établir avec la phrase qui le précède et les conséquences que tu en tires laisse pour le moins dubitatif.

      Touché, coulé ! Effectivement, les raccourcis sont fulgurants et contre-productifs. C’est (oups) le problème quand on se relit mal. Le « c’est » que tu incrimines ne suit pas la phrase qui le précède mais le paragraphe au-dessus. Qui plus est l’introduction de la problématique de l’écrit est également forcée. Il faudrait soit la retirer soit prendre le temps de bien expliciter que je vois un lien entre la conception moderne d’un sujet transcendant et un système éducatif basé sur l’écrit qui lui est contemporain. Enfin, plus grave, le lien entre expérience de la durée concrète et lecture/écriture multimédia est posée telle quelle, sans justification. Mieux écrit cela donnerait «  C’est que si le temps cesse d’être un englobant pour devenir une multiplicité de durées concrète alors la pensée cesse d’être attribuée à un sujet transcendantal ayant à faire la synthèse de son expérience éparse, elle est directement impliquée dans chaque durée concrète et donc toujours en situation, relevant d’un contexte singulier et ayant à frayer sa voie vers sa propre intelligibilité. Ce n’est plus un sujet qui fait la synthèse mais un trajet qui explore un parcours. On retrouve ici de quoi accrocher notre réflexion autour du cinéma selon Deleuze consistant à se demander à quoi pourrait ressembler une pensée multimédia. L’environnement, pour l’instant assimilé à un univers d’images-mouvements, est saturé de signes et ceux-ci doivent être décodés. »

      Si tu décides dans ce passage qu’il existe « une multiplicité de durées concrètes », est-ce que « le temps cesse d’être [aussi, en même temps, pour autant] un englobant »? Je ne discute pas là de savoir si oui ou non il existe « une multiplicité de durées concrètes », et partant si oui ou non « le temps cesse d’être un englobant », mais de ta façon de poser les choses. Ce « C’est » est d’autant plus dérangeant qu’il semble t’autoriser, chemin faisant, à destituer l’individu de la pensée (que la pensée puisse ou non être exclusivement Sa pensée, et que l’individu auquel tu sembles faire référence ici soit singulièrement pluriel sont un seul et même sujet sur lequel je ne doute pas que tu reviendras explicitement).

      Effectivement j’y reviendrai pour la bonne et simple raison que c’est LA destination. Je concède que j’utilise une terminologie très vague et l’une des raisons consiste en la volonté de ne pas importer le vocabulaire kantien que j’ai pourtant dans le viseur. J’y gagnerai en précision mais, timidité mal placée, j’ai peur de perdre les trois lecteurs qui me restent. Chez Kant effectivement, le temps et l’espace sont des englobants, ce sont, si je me souviens bien, les formes a priori de l’expérience. Le sujet kantien est le sujet transcendantal, c’est-à-dire celui qui fait la synthèse de son expérience à l’intérieur des formes a priori (et donc vide au premier abord) de l’espace et du temps. L’expression a priori est la plus importante, elle signifie antérieurement à toute expérience concrète. Ce que Bergson visait, ce que Stengers et Prigogine confirme, c’est (oups!) qu’il n’y a pas de d’espace ou de temps a priori, en tout cas pas pour les individus qui font l’expérience de la durée.
      Le problème, c’est que si je me défais du sujet transcendantal kantien, que vais-je mettre à la place ? Parce qu’effectivement, et même plus que jamais, il y a bien une singularité qui pense et qui vit, qui survit à la disparition du sujet kantien. Note qu’il y a plusieurs réponses déjà existantes à ce sujet : la réponse nietzschéenne, celle bergsonienne, celle husserlienne. Après tu comptes à partir de là leurs épigones contemporains (pour faire vite mais va falloir que je change de conduite). J’emprunte la voie bergsonnienne, puis deleuzienne, etc.. Bernard Stiegler par exemple suit une autre voie, husserlienne celle-là. Mon idée est donc bien d’arriver à savoir quoi mettre à la place du sujet. Le terme individu est ambigu parce qu’il a le sens empirique de la personne que l’on a devant soi mais, du point de vue de l’histoire de la philosophie, il est rattaché à la pensée kantienne qui en a donné, en son temps, l’expression la plus précise et la plus féconde. Dire que la pensée cesse d’être attribuée à un individu veut dire que le sujet kantien, y compris ses variations contemporaines, ne rends plus compte des conditions de la pensée au XXIème siècle. Ce n’est pas une impasse, c’est une aventure.

      Pourquoi un « trajet qui explore un parcours » -bravo Max, bel exemple de poésie concrète, en situation- ne pourrait pas dans le même temps être « un sujet qui fait la synthèse »?

      La phrase est lourde mais à dessein. Bien sûr qu’un trajet parcours, mais il s’agissait de ne pas écrire un sujet parcours. Je le répète, l’idée est de décrocher du sujet kantien. Je marque ce décrochage comme une disjonction en gardant d’une part le suffixe –jet, (du latin latin jacere que je comprends comme jeté dans l’expérience) et remplace sub– par tra– (que je comprends comme le remplacement d’un « individu » jeté sous les conditions a priori de l’expérience par un « individu » jeté à travers l’expérience). Dans ce cas, le parcours remplace la synthèse.

      Comment peux-tu avancer que la lecture et l’écriture puisse être exclusivement linguistique?

      Encore une formule mal écrite. Nons pas exclusivement, mais prioritairement, préférentiellement celle d’un ordre social. Je te renvoie au précédent commentaire sur cette question.

      Pour le formuler autrement, la pensée multimédia peut-elle rompre avec le moment où les enfants paraissent sur ce fond médiatique tout en le précédant, en lui étant contemporains et en lui succédant pour le constituer et le reconstituer sans fin?
      A leur sujet, si ce n’est en termes d’âge, de temps de présence dans l‘existence, « les jeunes générations » que tu évoques dans « l’image-temps I » est une catégorie (non plus singulièrement plurielle mais englobante) qui n’existe pas. C’est d’autant plus troublant que tu en appelles à elle pour dénoncer le pouvoir et ses médias qui l’ont auto créée

      Je suis désolée que tu ne retiennes pas mon explication sur l’usage que je fais des catégories auto-créées médiatiquement.

      (si la question de droit et de nature se pose, c’est bien concernant notre incapacité d’inventer, d’être partie prenante face à l’avenir. Ce n’est certainement par défaut que le pouvoir -toujours- actuel fait montre d’incapacité).

      Et comment fait-tu pour ne pas mettre en rapport une incapacité à inventer ou à être partie prenante de l’avenir et une configuration socio-historique (dans laquelle nous sommes certes acteurs mais acteurs dépendants) qui inhibe de telles velléités ?

      Ce n’est peut-être pas tant les métaphores cinématographiques qui m’embarrassent dans ma lecture, que la formulation deleuzienne qui me semble parfois dicter voire réduire ta réflexion. C’est dommage, elle gagnerait à s’affranchir pour s’imposer.

      Rien en naît de rien et je n’ai personnellement aucun souci avec le fait de puiser à une pensée nourricière comme celle de Deleuze. Si je lui emprunte ses formulations c’est parce que j’ai besoin de les penser pour mon compte et si je m’en trouve bien c’est parce qu’elles me donnent les moyens de penser avec un maximum d’extension. La réduction est inhérente à l’acte de penser mais il y a des penseurs qui réduisent moins que d’autres. Chacun emprunte son guide, et non son dictateur, et se forme selon les affinités qu’il y trouve.

  4. Max,

    je ne pense pas que l’on puisse encore se défaire du sujet kantien. S’il ne rend plus compte de la réalité, il y participe encore ne serait-ce qu’en ayant été.
    Pour ma part, et dans un écrit en cours, je remplace ledit sujet par jésut. Cela me permet, non pas de le conserver, mais de m’amuser de son petit côté transcendantal, fantômatique, surnaturel; tout bêtement humain.

    Bon courage,
    Philippe

Répondre à Philippe Valery Annuler la réponse.